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A Coulon, Louis Guille coule une retraite tranquille. A l’opposé de ce que fut sa vie. Samedi on lui remettra la croix de guerre. 71 ans après…

La moustache blanche bien touffue, les yeux rieurs, malicieux même, le chapeau en permanence à la main quand il est en visite, Louis Guille traverse ce siècle en prenant la vie du bon côté. Pourtant, elle n’a pas été toujours rose. Loin de là. Et en venant très officiellement lui remettre la croix de guerre, samedi à midi à Coulon, le colonel Bouniot, commandant le troisième bataillon de l’E.N.S.O.A. à Saint-Maixent, effacera plus de soixante dix ans d’oubli.

Car Louis Guille qui vient de fêter ses 92 ans le 29 octobre était à Douaumont.
« J’étais volontaire pour monter ! » dit-il d’une voix claire. Volontaire au plein sens du terme. Né à Dinan dans les côtes du Nord, il se retrouve orphelin à Pauillac, en Médoc, avec cinq frères et sœurs plus jeunes à sa charge. Il n’a alors que 13 ans. « La journée je travaillais à la vigne ou je gardais les vaches. La nuit, j’allais travailler aux enregistrements au port de bordeaux, pour charger les soutes de bateaux. Il fallait que je m’occupe de mes frères et de mes sœurs. »
L’école ? Il n’y est pas allé. De sorte qu’aujourd’hui il ne sait ni lire, ni écrire. C’est son seul regret d’une vie qui continue d’être bien remplie. La chasse et la pêche l’occupent de longues heures quand il s’agit de préparer les appâts ou de vider les brochets. Dimanche, il en a pêché un de 72cm qu’il est allé offrir à sa voisine…
Histoire d’oublier les deux années et demie passées au front. Mobilisé le 8 janvier 1916- il se souvient très précisément de la date – Louis Guille ne fait qu’un mois de classe avant de monter au front. Il est cavalier au 7e régiment de hussards. Les tranchées il en bave. Sans jamais se plaindre. Un jour de novembre il essuie trois coups de feu « à bout portant » d’un soldat allemands. Il évite les coups et parvient même à faire prisonnier son adversaire. « Il m’a demandé pardon… » Sourit Louis Guille aujourd’hui. Cet acte de bravoure lui vaut la croix de guerre qu’on lui remet tout de suite. La décoration officielle aurait dû venir dans les années d’après-guerre. L’ancien combattant l’aura attendue 71ans… Pourtant de la Somme à Douaumont, il connaît tous les champs de bataille de la grande guerre. « J’ai même vu Guynemer descendre deux avions allemands. C’était à Mourmelon-le-Petit » se souvient-il avec une légitime fierté.
Démobilisé, il se retrouve seul dans la vie : « Mes frères et sœurs avaient été placés dans un orphelinat. Je ne les ai plus jamais revus. Sauf une de mes sœurs aujourd’hui décédée. »
Avec toujours la même volonté, Louis Guille repart. Il trouve une place chez un maréchal-ferrant de la place Saint Jean à Niort, la ville où il avait été mobilisé. Il y reste un an, avant d’entrer chez Baugé à la gâterie (route de Limoges) puis chez Margoton, sur le halage, toujours à Niort. Mais c’est aux ponts et chaussées qu’il travaillera le plus longtemps. Jusqu’à l’âge de… 75 ans. « J’étais aux ateliers, à l’entretien des bateaux. »
Sa retraite il la prend à Coulon, sans rien oublier de l’agilité de ses doigts. Il répare les chaises et invente même un « vélo » pour rhumatismes. Fixé sur un fauteuil, l’engin développe les mouvements des jambes et ceux des bras. Sans oublier les articulations du cou. « Je l’avais conçu pour ma deuxième femme qui vient de décéder. » Dix sept ans après la première. Des deuils qui le frappent mais qui ne lui enlèvent pas sa bonne humeur naturelle. Bonne humeur qu’il communique jusqu’à ses arrière-arrière-petits enfants et à tout son voisinage. « J’avais 85ans que je sautais encore des palisses hautes comme ça ! » Et Louis Guille lève le bras à une hauteur d’un mètre. « Mon gendre, lui, passait dessous… » Il sourit.

J.J.Boissoneau.

Article relevé dans la Nouvelle République du 7 novembre 1989.