Archives & Dossiers du Poitou-Charentes

Le faux pas de Ledanseur-Delbo-Phénix(3) (Niort,1944)

 

Il y aura 60 ans demain, l’épisode le plus rocambolesque d’une tragique histoire de résistance mettait un couple de petits commerçants niortais au cœur d’une chaîne de solidarité héroïque. Un devoir de mémoire.
Ce 21 février 1944, lorsqu’un certain Pierre Robert Lambert (Alias Ledanseur de son nom de gestapiste) entre dans sa boutique de radio et de photographie de la rue des Cordeliers, Georges Gibeault(*), un petit commerçant niortais, ne se doute pas que l’oiseau est de très mauvaise augure. A cause de lui, c’est le tragique destin d’une trentaine de personnes qui va se nouer…
Informateur à la solde des allemands, Ledanseur se fait passer pour un agent du réseau de renseignement belge Delbo Phénix dont le Q.G est à Niort et auquel Georges Gibeault et Jeanne, sa femme rendent de grands services. Ils cachent, depuis plusieurs mois déjà, Jean Hoyoux, dit Jeannot, un radio belge parachuté à Assais les jumeaux et l’aident à transmettre des renseignements de la plus haute importance à Londres.
Ledanseur se dit membre du réseau Delbo Phénix, il veut rejoindre Londres au plus vite. C’est Maurice Tournerie, un employé des ponts et chaussées, qui l’a conduit jusqu’à Georges Gibault. Ce dernier, qui n’a pas appris à se méfier, fait passer les deux hommes dans son arrière-boutique. Jean Hoyoux est à l’étage.
Georges lui demande de descendre et lui présente Lambert-Ledanseur. Le radio belge, lui, a du métier. Tandis que le commerçant niortais, en bon vivant qu’il est, va chercher une bonne bouteille à la cave, Jean Hoyoux tente de s’assurer de la fiabilité de ce Lambert. Il lui demande quel jour il a été parachuté en France…
« Les parachutages se faisaient exclusivement par nuit de grande lune », explique Jean Marie Pouplain, l’historien niortais à qui la N.R. doit de pouvoir aujourd’hui raconter cette formidable histoire en cette semaine anniversaire.
« Avec cette question piège, JeanHoyouxespérait donc s’assurer qu’il n’avait pas affaire à un imposteur. »

 

Ledanseur se saisit du pistolet et sans hésiter tire sur Jean HoyouL’idée est judicieuse. Ledanseur fait un faux pas. Il indique une nuit de parachutage sans le moindre quartier de lune… Dans le regard d’Hoyoux, l’homme à la solde de la Gestapo comprend vite qu’il a gaffé. Il sait que la résistance ne lui fera pas de cadeau et que ses jours sont désormais comptés. Il plonge la main dans la poche de sa canadienne, se saisit de son pistolet et, sans hésiter, tire une première fois sur Jean Hoyoux. Ce dernier est touché à la poitrine. Il s’effondre. Maurice Tournerie qui assiste à la scène, tente de s’interposer. Il reçoit une balle et est tué sur le coup.
Jean
Hoyoux, étendu sur le sol, a néanmoins la force d’appeler Georges Gibeault à la rescousse. Le commerçant accourt, son petit pistolet de dame, un 6,35, à la main. Gibeault est robuste. Une force de la nature. Il réussit à désarmer Ledanseur. Dans la rixe, un coup part, le gestapiste est touché. Il s’écroule à son tour.
Le radio belge, agent expérimenté, sait qu’il ne faut prendre aucun risque. Il supplie alors Georges d’achever
Ledanseur. Mais le commerçant a le cœur tendre et manque de métier. Il ne peut se résoudre à tirer une seconde fois sur le corps inerte et désormais sans défense. Il tient Ledanseur pour mort et veut croire cette précaution inutile. Il jette le gestapiste dans la cave qui lui servait d’atelier et remonte les marches quatre à quatre, en prenant tout de même le soin de refermer la trappe derrière lui. Il est près de 21 heures.
Georges
Gibeault se glisse aussitôt dans la nuit noire et dans une rue des Cordeliers déserte. Il transporte aussitôt Jean Hoyoux jusqu’au bar du Temple voisin, le jean Bar actuel. Là, il téléphone au docteur Laffitte, membre du réseau Delbo Phénix. Arrivé sur place, le médecin niortais fait conduire Hoyoux à l’hôpital et demande aux religieuses de le mettre dans un endroit très discret. Ce sera le pavillon Charcot tout récemment détruit, lequel pavillon abritait les personnes victimes de troubles mentaux.
Mais pendant ce temps, le « tenu pour mort », rassuré par le silence, recouvre la vie ! Son épaisse canadienne a freiné la balle et limité les dégâts. Ledanseur a encore suffisamment de force pour ‘évader par le soupirail- toujours visible aujourd’hui- qui donne sur le trottoir de la rue des Cordeliers. Il se traîne jusqu’au bureau de la très pro-allemande légion des volontaires français (LVF), à deux pas, rue Ricard. La vitrine de la LVF, qui a volé en éclats quelques jours plus tôt lors d’un attentat, fait l’objet d’une surveillance active. Il est 21h30 quand le policier français en faction voit déboucher, au coin de la rue, un homme titubant, une main sur le ventre.
Ledanseur s’affale à ses pies. Prévenue aussitôt, la Gestapo arrive en trombe et fait transporter son agent à… l’hôpital de Niort. La grande traque va commencer.



F. Bonnet

Article et photographie relevés dans la Nouvelle République du 20 février 2004.



(*) Dans le volet 1 de cette histoire, nous avons prénommé Georges Gibeault, Marcel. Deux raisons à cette demi-méprise : sur la liste de ses agents, le réseau Delbo Phenix fait curieusement mention de Marcel et non de Georges. De même, la carte des chemins de fer que le commerçant a fait faire, trois jours avant le drame, est-elle établie au nom de Marcel Gibault, sans que l’on sache pourquoi.



19/08/2012
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