1944 : Du swing et des larmes (Niort)
Robert Miot a conservé deux souvenirs forts du bombardement de Niort le 7 juin 1944.Chacun, à sa façon, illustre bien toute l’ironie de la guerre et la fragilité du destin.
Qui, à Niort, ne connaît pas Robert Miot ? De par son métier – il a été derrière le zinc du café de la Gare pendant près de quarante ans, avec son père puis avec son fils – comme par ses engagements citoyens – il a été conseiller municipal, président de l’office du tourisme et même dirigeant des Chamois –cet homme-là appartient bel et bien à l’histoire de Niort. C’est tellement vrai qu’il est venu nous livrer deux fragments de sa mémoire liés au bombardement de Niort du 7 juin 1944. Événement que nos colonnes évoquent depuis lundi, jour anniversaire.
«Ca m’a plus, j’ai monté le son…»
Le premier souvenir de Robert se rapporte à la veille du drame.
«J’avais quatorze ans. J’avais passé mon certificat d’études la veille. Nous habitions rue Saint Jean où mon père tenait le parisiana, un bar qu’il avait créé en 1937. Ce 6 juin, dans le bistrot, les conversations allaient bon train. On ne parlait que du débarquement. Moi j’étais à la cuisine avec ma grand-mère. Nous mangions des pommes du jardin. Machinalement, j’ai tourné le bouton de la radio et je suis tombé sur une onde étrangère qui diffusait une musique que je ne connaissais pas. Tout de suite, ça m’a plu. J’ai monté le son… Tellement fort que ma grand-mère s’est réfugiée dans la salle à manger! Par la fenêtre ouverte, j’ai entendu des claquements de mains et des sifflets. Je me suis penché et là,j’ai vu deux très jeunes militaires allemands, assis à la terrasse du Raisin de Bourgogne, le rendez-vous favori des officiers allemands. Ils avaient à peine 18ans. Dés qu’ils m’ont vu, ils m’ont fait comprendre qu’ils voulaient que je mette la musique plus forte encore. Visiblement, ça leur plaisait aussi, je ne sais pas pourquoi, je l’ai fait, je suis retourné à la fenêtre et là, pendant quelques instants, nous avons marqué ce rythme nouveau trépidant. Ensemble. Et oublié la guerre qui nous séparait.»
Cette musique inconnue, c’était du jazz diffusé par les américains «In The Mood» de Glenn Miller.
«Depuis, à chaque fois que j’entends ce thème, je revis cet instant-là et je suis ému.»
«Gilbert, mon copain, mon frère»
Le second épisode inscrit dans la mémoire de Robert est moins riant.
«Le 7 juin, après la chorale nous étions allés nous baigner à l’écluse de Comporté avec mon copain Gilbert Guignard. D’ordinaire, c’était une tradition, après la baignade nous allions boire un diabolo menthe au «Sanglier des Ardennes», le café que tenait son père rue de la gare. Mais cette fois,je n’y suis pas allé. Mon père, inquiet des fréquents mitraillages dont le quartier de la gare était l’objet me l’avait interdit.»
L’obéissance de Robert allait lui sauver la vie.
«Nous nous sommes quittés place du Roulage. Peu après, le bombardement a commencé. Gilbert, mon copain –nous étions nés le même jour, nous faisions tout ensemble – était devant l’hôtel Terminus, à deux pas de chez lui. Sa mère s’est penchée à la fenêtre pour lui demander de se mettre très vite à l’abri.
Une bombe est alors tombée… L’un et l’autre ont été mortellement touchés. Son père qui avait eu le temps de se glisser sous le bar et son frère qui n’était pas encore rentré, eux, ont eu la vie sauve.
Depuis samedi, je ne cesse de penser à Gilbert. Mon copain, mon frère.»
Fabien Bonnet.
Article relevé dans la Nouvelle République du 10 juin 2004.
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