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L’accordéon de Marcel (Argenton l’église1996)

 

MarcelRouleauva fêter ses 79ans le mois prochain. Il habite à Argenton- l’Eglise la ferme qu’il a longtemps exploitée avec son frère. Son passage à la retraite et la vente du matériel agricole allaient, par le fruit du hasard, le replonger dans les années 40. Marcel a une excellente mémoire et il aime conter sans omettre le moindre détail, les moments de sa vie.
C’est ainsi qu’il vient de raconter ses années de captivité à un client pour son tracteur, l’épouse de ce monsieur est professeur d’allemand, elle décide de retrouver cette famille qui a laissé de si bons souvenirs à Marcel.
Sur la ligne Siegfried.
Le 1er juillet 1940, Marcel, en compagnie de beaucoup d’autres français est fait prisonnier par l’armée allemande dans la forêt de
Hagueneau, dans le Bas-Rhin. Il est interné dans un camp à Vallendorf et affecté à des travaux agricoles. Tous les jours, il se rend dans une ferme, et le soir retourne au camp. Il était payé avec de « la monnaie de camp ». Avec cet argent, il achète un accordéon à un de ses camarades de captivité.
En 1943, l’armée allemande ayant besoin d’hommes, décide de faire l’économie de ces transferts journaliers, fournie aux prisonniers une tenue civile et les confie à des fermiers. Marcel arrive dans une famille durement éprouvée, en l’espace de quinze jours, les deux fils ont été tués. Dans cette maison, vive le père, trop vieux pour être mobilisé, la mère, malade qui ne quitte que rarement sa chambre de deux filles, Katarina et Anna.
«
J’étais de la famille »
Après la dureté du camp, le jeune français découvre une famille qui l’accueille comme elle l’aurait fait pour un des siens. On lui offre une chambre au parquet parfaitement ciré et Marcel se souvient de ces mille et une petites attentions dont il était l’objet. Un jour, sa montre est tombée par terre, l’horloger local ne peut la réparer, faute de pièces, elle est envoyée à
Munich, trois semaines après, elle est réparée… et elle marche toujours.
De
Munich ont lui fait venir des hameçons pour pouvoir pêcher dans le Kiel, mais le fil manque. Marcel écrit à Argenton- l’Eglise pour en obtenir et, quelques semaines plus tard, un dimanche après-midi, après avoir emprunté, pour le bouchon, une plume au « père coq », comme il dit, il est fin prêt.
Trois mois qu’il attend ce moment, un orage la veille a gonflé les eaux, malchance ? Non, malgré cela, en une heure et demie, 84 poissons sont pris. Fier de sa prise mais anxieux à l’idée de cuisiner sa friture, car Marcel a remarqué que ses hôtes ne mangent jamais de poissons.
Le poisson est préparé cuit avec du lard de cochon, comme des frites et tout le monde se régale.
«
Tu y retourneras »
«
Le dimanche, on allait à la messe. Mes affaires m’attendaient dans ma chambre. Je n’aurais jamais pensé un jour que les allemands auraient ciré mes chaussures. Il n’y avait qu’à la sortie de l’église que l’on pouvait revoir les autres prisonniers ou au café après la soupe. Parfois, je jouais aux cartes avec les filles, une voisine nous rejoignait. Je n’ai pas été malheureux du tout. »
1944, les alliés débarquent. Une nuit (du 16 au 17 septembre), il risque sa vie, se cachant des soldats allemands, il attend les alliés. Cette nuit là, la providence veille sur lui. Tout le secteur est durement bombardé, «
J’étais en plein dans le front ». Ce sont les canadiens qui récupèrent notre Argentonnais, pas son accordéon.
Vous n’êtes pas un étranger
Il y a un an, une lettre venant d’
Allemagne arrive, elle est signée Maria, fille de Katarina. On n’avait pas oublié Marcel de l’autre côté du Rhin. « Dans ma famille, jusqu’à maintenant, nous avons beaucoup parlé de vous… L’accordéon que vous aviez été obligé de laisser, existe encore et c’est avec beaucoup d’attention que nous le gardons avec l’espoir qu’un jour il vous soit restitué. »
Depuis, grâce u téléphone, Marcel et cette famille se sont retrouvés. Parfois on reproche à Marcel d’avoir oublié son allemand qu’il apprenait le soir à la veillée lorsque l’on ne jouait pas aux cartes.

J. Marie Paulus

 

Article relevé dans la Nouvelle République du 22 décembre 1996.



18/08/2012
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