Bertrand, forçat de l’ombre (Saint-Maixent 1921)
Alors que l’épreuve mythique fêtera son centenaire par une arrivée d’étape au pied de la statue de Denfert-Rochereau le 25 juillet, le Saint-Maixentais Jules Bertrand est, à notre connaissance, le seul coureur né dans les Deux sèvres à avoir participé au tour de France, en 1921 et 1924.
Les Deux-Sèvres n’ont jamais entretenu une grande idylle avec la grande boucle. En un siècle, les forçats de la route n’ont fait qu’une seule fois étape dans le département, à Niort, en 1950. Un bilan plutôt maigre malgré de nombreuses traversées, surtout lorsqu’il est mis en perspective avec les arrivées ou départs recensées à la Rochelle(20), Royan (7),Poitiers(7),au Futuroscope(7) ou La Roche-sur-Yon (5), sans parler des multiples étapes jugées ailleurs en Vendée (16 aux sables d’Olonnes, par exemple).
La constatation est identique dans le domaine de la participation. Sans faire de l’ethnocentrisme mal placé, aucun Deux-sévrien n’a défrayé la chronique du Tour à ce jour. Certes, Eugène Gréau, auteur d’un superbe tour de France en 1929 (47e),peut-être annexé à Niort dans la mesure où ce cheminot y travaillait à la gare. Natif de Vendée, Eugène Gréau a été arrêté pour acte de résistance à l’occupant le 20 décembre 1941 à la suite d’un sabotage près du pont de Goise, puis déporté en Allemagne ou il est décédé.
Comme Pascal Hervé plus tard, Didier Lebaud, né en Charente, deux tours à son actif en 1980 et 1981, a été lui aussi un deux-sévrien d’adoption. A cette époque, il était licencié au VC Niortais. L’ex-pro de la formation Miko-Mercier réside aujourd’hui à Bruxerolles, dans la Vienne. A titre de comparaison, la chronique sportive dénombre treize coureurs natifs de Vendée ayant participé à la grande boucle.
Placés devant une telle situation de carence, il nous a paru opportun de remettre en pleine lumière le Saint Maixentais Jules Bertrand, à notre connaissance seul coureur né dans les Deux Sèvres à avoir participé à deux reprises au Tour de France, en 1921 et 1924 (*).Ce forçat de l’ombre est né le 26 juin1896, à la Crèche. Engagé sous la bannière de Saint Maixent dans le tour 1921, il a subi une grave chute dans la 3e étape Cherbourg-Brest, synonyme d’abandon. La même mésaventure lui est advenue en 1924, cette fois dans la descente du col du Tourmalet, au cours de la 6e étape Bayonne-Luchon. Son statut de touriste routier l’a ensuite empêché de repartir, faute de matériel de rechange.
9e de Bordeaux-Paris.
« Mon père parlait plus des deux guerres qu’il avait vécues (14-18 au cours de laquelle il avait été gazé et 39/45 ) que de ses participations au Tour de France. » se souvient son fils, Jacques Bertrand,59 ans, toujours adepte assidu de la petite reine et licencié au VC Saint Maixentais. « Ce qui l’avait surtout marqué dans sa carrière cycliste, c’était sa 9e place de Bordeaux-Paris en 1924. »
Jules Bertrand s’était lancé dans son épopée dans la catégorie « isolés », sans entraîneur et sur pignon fixe, sur un vélo de marque Bines fabriqué à Thouars, pour un gain d’un franc par kilomètre parcouru. Cette année-là, il remporta le classement de la catégorie « isolées »,c’est-à-dire la plus difficile car privé de toute assistance. Le champion deux-sévrien a aussi couru ultérieurement sur cycles Barré, constructeur de vélos et d’autos dont les ateliers étaient situés en bas de la place de la Brèche, à Niort.
« Quand j’étais jeune, on parlait rarement des ses participations au Tour, le plus souvent lorsque l’on allait rouler ensemble »souligne Jacques Bertrand. « Mon père n’était pas très causant. Je me souviens qu’il me disait que c’était dur que son métier de maçon. Les coureurs étaient plus individualistes qu’aujourd’hui les professionnels n’aimaient pas beaucoup les touristes routiers, capables de les inquiéter sans aucun entourage à leur service. »
Cet homme de fer n’a pourtant jamais tourné le dos à sa passion du cyclisme. Il est même mort en selle, en 1983,renversé par une voiture près de l’aérodrome de Souché. Il était âgé de 86 ans.
Philippe Journier
(*)La documentation rassemblée par M M. Catteau et Bray a constitué une aide précieuse pour réaliser cet article. Qu’ils en soient ici remerciés. Si vous avez connaissance d’un autre coureur deux-sévrien ayant participé au Tour de France, n’hésitez pas à contacter la N.R.
Article relevé dans la Nouvelle République du 25 juin 2003.
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