L'abattoir connu son âge d'or (Bressuire 1933)
En pleine occupation une revue de l’époque «L’illustration» vantait un abattoir nourricier : celui de Bressuire. Flash-back.
Douce France ! On se croirait dans une chanson de Charles Trénet. Le ciel est bleu, les nuages cotonneux, les toits chauds. Et en plus le clocher veille sur la ville et son foirail. C’est le portrait de Bressuire dressé à l’aquarelle par Géo Ham, dans la revue « l’illustration » du 20 mars 1943. Parce que François Toché est venu faire le grand reporter au « … Centre d’abattage (sic) de Bressuire. »
Sa double page ne manque pas en effet d’allécher. Huit aquarelles et un dessin du grand affichiste automobile d’avant guerre illustrent son propos. Les hommes (on ne voit pas une seule femme), y sont vigoureux. Les paysans ont conservé la blouse bleue et portent béret et sabots. Les bouchers apparaissent vêtus comme des médecins. Ou des explorateurs polaires. Enfin, les charcuteries sont équipées de machines magiques. Pensez, elles débitent des hectomètres de saucisson à la journée.Mais rien à voir avec les abattoirs de Chicago vus par Hergé quelques années auparavant dans son « Tintin en Amérique » ;
François Toché s’en défend sans citer d’ailleurs le dessinateur. Bressuire possède un abattoir-témoin, un beau maillon de cette chaine frigorifique » dans une France « pays de la ferme de 40 hectares avec sa dizaine de bêtes à cornes et ses cultures variées.
Les anti-héros.
En plus, l’abattoir est flambant neuf. Le sénateur maire René Héry, avait su profiter de la loi du 16 avril 1935. Loi de décentralisation, qui prévoyait la création de tels sites équipés de matériel frigorifique, dans les zones d’élevage. Les travaux avaient commencé en 1936 sous la direction du génie rural et de l’intendance.
Naissant avec la guerre, une partie de l’établissement avait été consacré à l’armée et au ravitaillement. En 1943, on traite quotidiennement 150 bovins pour le copte du ministère de l’Agriculture et du ravitaillement avant la répartition des viandes entre les centres de consommation.
Arrivé le soir, le bétail passe une dernière nuit à l’étable. Suit une description du passage au poste d’assommement où le pistolet « matador » foudroie l’animal. On apprend ensuite que l’albumine sert de coagulant pour la charcuterie et les globules rouges à la fabrication du caoutchouc synthétique. Les glandes de toutes sortes, telles la tyroïde, le pancréas ou l’hypophyse partiront dans les laboratoires producteurs d’insuline entre autres. Bref, dans cet article fourni, rien n’a été épargné au lecteur d’alors. Mais si l’on sait tout des bêtes, on ne connaît quasiment rien des hommes. Ils doivent n’être que des anti-héros.
Ironie du sort, cinquante ans après que l’abattoir de Bressuire a été présenté comme un équipement exemplaire, dans les pages de « L’illustration », il se trouve à nouveau sur la sellette. Mais cette fois pour des problèmes de survie. Aujourd’hui on espère une subvention. Indispensable pour redonner vie à cet outil qui, un demi-siècle plus tôt, semblait promis à un avenir sans nuages.
Sang pour sang.
Ce 20 mars 1943, le grand hebdomadaire « L’illustration » en était à sa 101e année et il ne lui en restait qu’une dizaine à vivre. En tout cas, dans ce N°5219, Bressuire y côtoyait l’actualité nationale et internationale, façon Vichy. Ce qui n’empêchait pas les associations les plus audacieuses. Au corps défendant de l’organe de presse certainement.
Ce grand reportage en Bocage intitulé « Centre d’abattage de Bressuire et son frigorifique » est placé derrière des photographies de funérailles. Il s’agit des victimes du bombardement allié sur Rennes le 8 mars 1943n, c’est aussi la dureté des privations. F. Torché a prévenu. « On ne chante pas la chanson de dameTardineà l’enfant privé de dessert. » N’empêche, il évoque les tripes à la mode de Caen ou les pâtés faits à Bressuire. Et Geo Ham de peindre cette charcuterie savoureuse, rose, abondante. A croire qu’il en a oublié les cartes de rationnement. Enfin que dire du tunnel de congélation à -35°C de l’abattoir où transitent trente tonnes de viande par jour, alors que quelques pages plus haut, il est question du front russe ?
Article relevé dans la Nouvelle République du 31.janvier 1993
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