«Ça lui aurait fait plaisir !» (Châtillon sur Thouet 1998)
La réhabilitation des « mutins » de 1917 par Lionel Jospin a ému jusqu’en Gâtine. Loin des polémiques politiciennes, la famille de Joseph Favrou se souvient.
Ce 11 novembre n’a pas été comme les autres. Ma mère a chanté « La Craonne » commeautrefois son père. Pierre Tournier à revécu les récits de son grand père quand il était enfant. Il a encore un peu plus regretté de n’avoir pu enregistrer le témoignage et les chansons de Joseph Favrou, humble domestique agricole né à Mouilleron le Captif (Vendée)en 1889 , incorporé en 1910, mobilisé le 2 août 1914, finalement libéré en juin 1919.
Par la suite il deviendra cantonnier sur les voies de chemin de fer, entre Parthenay et Clessé et habitera longtemps avec son épouse Mathilde, une petit maison de garde barrière sur le PN48 Châtillon sur Thouet. Aujourd’hui, la voix de ce poilu manque, alors que tous les acteurs ou témoins des fameuses « mutineries » de 1917 ont disparu. Et aujourd’hui encore, quatre vingt ans après, en parler est difficile pour sa fille.
Mai lui, Joseph Favrou, il en parlait tout le temps. Car s’il a survécu à la grande guerre jusqu’en 1971, il n’en était pas revenu indemne. Cicatrisées ses blessures par balles en septembre 1914, puis par éclats d’obus devant Douaumont en 1916 ? Pas toutes.
Pas celles qu’il avait gardées à l’âme. La guerre le hantait toujours : « Il ne pouvait pas parler plus de cinq minutes sans revenir sur ce sujet », témoigne son gendre Albert Tournier, ancien principal du collège Wilson. Mais, manifestement, Joseph Favrou avait épargné à ses filles les confidences les plus sensibles
L’écho des mutineries.
Le chemin des dames, il y était au printemps 1917, simple soldat. La guerre étant cependant une affaire d’hommes, c’est à ses petits-enfants et à son gendre qu’il a transmis l’écho des mutineries, le refus d’aller à l’abattoir pour rien sous les ordres du général Nivelle. C’est à eux aussi qu’il a confié avoir été aligné comme d’autres du 127e ou du 137e R.I, à l’heure des sanctions. Pour un décompte tragique. Par chance, il fut compté « sept » car le numéro « dix » sortait du rang pour être fusillé. Pour l’exemple.
« Quand il parlait de ça, son regard devenait dur, lui qui était un homme paisible, pas un meneur. Lui qui pleurait en évoquant certaines atrocités : le cadavre d’un « grand boche » qu’il fallait piétiner pour passer, les combats à la baïonnette, les corps des copains qu’il fallait ramener en les cramponnant par leur crâne fracassé »
Albert et Pierre Tournier se souviennent bien de ces douloureux récits.
Le livret militaire confirme laconiquement la présence de Joseph Fravrou, de février à septembre, dans le secteur de Craonne.Versé en aout dans le 84 e R.I. Il est envoyé en septembre à Salonique. « On ne lui a peut être pas donné le choix », pense Albert Tournier. Là-bas, en Orient, plus de tranchées mais des difficultés de ravitaillement. Par la suite, il n’a jamais revu ni cherché à revoir des compagnons d’infortune. Ni ceux de 1917, ni d’autres. « La guerre l’avait matraqué. Une seule fois, il a voulu revoir Verdun. En tant que retraité SNCF, le voyage ne lui coutait rien. Mais arrivé en gare de l’est, il a fait demi-tour. »
« La déclaration de Jospin sur la réhabilitation, c’est sur qu’elle lui aurait fait plaisir » reconnaît volontiers la fille de Joseph Favrou.Mais pas question pour autant d’en faire un martyr, ni même de lui coller une étiquette de « mutin ». Cet homme qui fredonnait souvent « Adieu la vie, adieu l’amour… » fut un poilu comme tant d’autres et qui mérite autant de respect que n’importe quel autre. Ni plus ni moins.
P.Thomas
Article relevé dans la Nouvelle République du 15 novembre 1998
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