Archives & Dossiers du Poitou-Charentes

S’il vous plaît M. Clément Blanchard parlez nous de la paix (Niort,1978)

 

Il raconte la guerre toute sa monstrueuse bêtise, achevant chaque récit de mort par la mêmeexpression : « Quel gâchis !.. » Parler de la guerre avec un ancien combattant, c’est finalement parler de la paix, c’est gueuler pour la paix, c’est reculer dans les tranchées pour mieux sauter sur l’Armistice.

Doyen des anciens combattants de Niort, M. Clément Blanchard à 87 ans. Il en avait 22 lorsqu’il fut appelé sur la frontière franco-allemande dès le premier jour du conflit 14-18.

Dans sa maison rue du 14 juillet, il revoit tomber tous ses copains, tués à ses côtés, dans les conditions les plus épouvantables. Le temps d’un entretien, le lieutenant Yvon est abattu quelques jours après avoir embrassé sa femme, devant tous ses hommes ; puis l’ami Fernand est tué d’une balle explosive. Sur une passerelle enjambant le canal de l’Yser, un allemand et un français se sont croisés, ont lutté à la baïonnette, sont tombés tous le deux.

Deux jours avant l’Armistice, toute une ligne d’artillerie a été décimée : les victimes savaient la paix imminente…

La petite fille de M. Blanchard est professeur d’allemand. Elle a amené chez son grand père une jeune fille d’outre-Rhin. « Elle était drôlement gentille … » dit-il. C’était une parenthèse.

Alors il reparle des boches qui l’ont gazé, une nuit où il dormait dans la cave d’un château. Et des autres boches qu’il a mitraillés du haut de la côte 304 :

« Ils étaient faits comme des rats, coincés dans un village »

La Lorraine, l’Artois, la Picardie, la Champagne, Verdun, la Marne, le Chemin des Dames, il a tout connu, il a fait la guerre du premier au dernier jour. « Quel gâchis !... »

En 14, il y avait aussi « ces sacrés pantalons rouges qui nous faisaient repérer à trois kilomètres » : on a laissé les vaillants soldats français servir de cibles pendant un an avant de changer la couleur de leurs frocs. Au 37e Régiment d’Infanterie, M. Blanchard était artilleur ; on leur avait donné des mitrailleuses St-Etienne  « Ultramodernes, tirant 1.400 coups à la minute ».Les premiers grains de sable des tranchées les enrayèrent et on dut utiliser des mitrailleuses Hotchkiss. Vive la France.

L’anniversaire de l’Armistice, c’est quoi pour vous M.Blanchard ? Ses yeux se mouillent, il prend son souffle, avale sa salive : « J’étais à Hirson, sur la Frontière Franco-belge. Le 11 novembre, vers 10 heures du matin, un petit gars a crié « C’est la paix ! » ; j’ai dit à un copain a côté de moi qu’on allait ramener nos os à la maison. » Sa femme l’interrompt un instant pour dire : « Vous savez c’est la première fois qu’il raconte la paix sans pleurer. »

 

Delion

 

Article relevé dans la Nouvelle République du 12 Novembre 1978.



27/09/2012
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