Une expédition poitevine à Dachau (1945) -1re partie.
Cet article est le témoignage du Révérant père Fleury, président des œuvres sociales de la Résistance. Il fut publié dans la Nouvelle République.
Malheureusement, l’article que j’ai en ma possession, n’a pas la date journalière, il me fut envoyé par le résistant Pierre Quintard, qui ne l’avait daté que de l’année 1975.
Je le poste sur ce blog en deux parties a cause de la longueur exceptionnelle de ce témoignage, combien enrichissant.
"Il n’est pas possible, au cours d’un bref exposé, de retracer comme il faudrait toutes les péripéties, passionnantes, dramatiques, parfois mêmes cocasses, de notre expédition. J’en ai noté ailleurs tous les détails qui pourraient faire l’objet d’une brochure abondamment illustrée. Bornons-nous onc à l’essentiel.
Au 19 mai 1945, il restait encore à Dachau 37.000 hommes, femmes et enfants, dont 3.000 français que les américains, hantés par la crainte du typhus, maintenaient enfermés. La quarantaine à laquelle ils les avaient soumis allait se terminer, mais ils parlaient d’en refaire une autre. On comprend bien la nécessité de ces précautions, mais il manquait à nos alliés plusieurs éléments d’appréciation. En premier lieu il semblait qu’on eût du permettre aux détenus d’écrire à leurs familles. Or cette faveur leur était refusée, on voit mal pour quels motifs, fussent-ils de sécurité militaire !
Mais alors pourquoi diffuser partout les récits d’atrocités nazies qu’on ne cessait de découvrir et qui venaient bouleverser les foyers de nos absents ? Pourquoi déchirer comme à plaisir les cœurs des femmes à l’écoute de la radio ?
Si on avait commencé par leur donner des nouvelles des leurs, les auraient déjà rassurées de les savoir délivrés par nos alliés américains, anglais et russes, et leur attente eut été moins cruelle.
Un transfert urgent :
Une autre considération, de semblable importance, avait échappé à nos amis américains. Aux êtres squelettiques, dont l’estomac était rétréci par les privations, ils avaient crû bon de donner la ration journalière du soldat en campagne, la fameuse « boite de singe » de bœuf congelé, alors qu’il leur eut fallut une nourriture légère, peu abondante, renouvelée plusieurs fois par jour. Nombre des ces affamés, ne pouvant modérer leur appétit trop longtemps comprimé se précipitaient sur cette nourriture trop forte pour eux et contractait bientôt une effroyable dysenterie, si bien qu’il en mourrait encore deux cent par jour. Il fallait au plus tôt porter remède à cet état de choses, et le meilleur moyen était de transférer de suite nos amis en zone d’occupation française.
Un de nos premier soins à notre arrive à Dachau avait été de prendre contact avec le Comité français, présidé par Edmond Michelet, qui voulut tout d’abord nous imposer un convoi de son choix ; mis je maintins ferme notre position ; nous étions venus en premier lieu chercher les déportés de la Vienne et de la région. Dés lors le Comité français nous aida de façon efficace dans nos négociations auprès des américains. Celles-ci durèrent toute la journée du 19 et la matinée du 20 mai. Enfin, nous obtînmes la permission de sortir à midi le dimanche de la pentecôte, après avoir passé au DTT. On nous adjoignit un car à essence pour emmener 96 rapatriés officiels mis bientôt, nous nous aperçûmes que six autres de la région parisienne, avaient échappé au contrôle et s’étaient réfugiés sous les bâches du Berliet. Un moment ils eurent peur que je les revoie au camp, mis je les rassurai et naturellement les gardai avec nous.
Un seul regret cependant au départ, mêlé d’admiration. L’abbé Réau, curé de Leugny dans la vienne et le Dr Suire, de Niort, malgré leur état de santé déficient, ne voulurent pas abandonner leurs malades atteints du typhus. Ils resteront à Dachau jusqu’à l’évacuation complète du camp, huit jours plus tard.
De Dachau à Reicheneau :
Au moment où nous regroupâmes au-delà des barbelés des dizaines d’hommes se soulevèrent d’un élan unanime et nos cars parurent rouler plus légers. En ce moment privilégié, il manquait cependant une chose à ma joie. Il m’avait été impossible d’allerchercher à Allach nos amis Coudart, Gaboriaud, Leroy, Métais, Tartarin, Vélisson. Du moins avais-je prié un capitaine d’obtenir au plus tôt leur transfert vers le lac de Constance où nous devions nous rendre directement avec un ordre de route très strict pour les îles de Mainau et de Reichenau. Nous ignorions alors que le général de Lattre avait promis aux américains d’isoler les déportés par une nouvelle quarantaine. Nos difficultés étaient donc loin d’être résolues.
Indépendamment des arrêts fréquents occasionnés par la dysenterie qui ravageait nos rescapés (heureusement j’avais fait une ample provision d’Alunosal pour les soulager), nous eûmes du fil à retordre dans les Alpes bavaroisesou nos cars et notre camion calèrent l’un après l’autre. Puis notre convoi se disloqua quand le car de la Croix Rouge, qui transportait les vivres, se trouva pris dans une longue file de chars qui l’entraînèrent dans une autre direction. Comme nous n’avions rien pris depuis le matin, à dix heures du soir, j’avisai une laiterie et fis réquisitionner du lit et une meule de gruyère. Toute la nuit nous roulâmes, et je dus même veiller à ce qu’un de nos chauffeurs ne nous laissât pas en chemin. Il s’était endormi au volant et je lui administrais une dose de Lambaréne qui le maintint éveillé jusqu’à notre arrivée à Mainau à huit heures du matin. La nous fûmes accueillis de façon charmante, mais cette île était réservée aux malades. Nous y laissâmes seulement notre ami Prioux et nous partîmes pour l’île de Reichenau, où nous nous mîmes en devoir de préparer les dossiers pour gagner du temps au poste frontière où devaient se faire les formalités de notre retour en France."
A suivre …
Article relevé dans la Nouvelle République de 1975.
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