Un octogénaire sur les dents (Thouars 1989)
Emmanuel Lauriouxréalise des tableaux d’un genre particulier. Uniquement avec des morceaux de timbre poste. Farfelu ? Non. Etonnant et superbe.
Mes amis philatélistes me disent que je suis un assassin. Les propos d’Emmanuel Laurioux sont emprunts d’un large sourire. Il n’a pas le sentiment de saboter un patrimoine, de sacrifier du bout de sa pince à épiler des pièces qui feraient la joie des collectionneurs. Des timbres, il en a des centaines, probablement des milliers, rangés dans ses boites de bonbons ou de biscuits. Les bleus avec les bleus, les rouges avec les rouges.
Méthodiquement, il les déchire- il évite le ciseau car la coupure serait trop net - pour en extraire le morceau de couleur qu’il a choisi. « C’est vrai qu’il y a beaucoup de déchets mais impossible de faire autrement. » Le résultat est là, incroyable, étonnant, riche d’une minutie soulevant l’admiration. Aucune valeur marchande mais des tableaux réussis qui ne peuvent que susciter le respect d’un travail aussi original que laborieux.
Obligé d’être patient
Emmanuel Laurioux fêtera son quatre-vingt-deuxième anniversaire le 13 novembre, boulevard Auguste-Rodin, à Thouars. Son dévouement à la cause du timbre-poste, il le doit à un habitant de Pompois, M. Bodin qui, jadis, réalisait des tableaux collages identiques et les lui proposait pour les convertir en plateaux repas. Emmanuel était alors artisan menuisier-ébéniste place Saint-Médard.
Puis la seconde guerre mondiale est arrivée: vingt sept mois de déportation, la tuberculose et des années de sanatorium à Niort. C’est là, en 1950, qu’à son tour, il a commencé à confectionner des tableaux à partir de morceaux de timbres. Il en a été ainsi jusqu’en 1956. La chapelle du château, la porte médiévale de Parthenay, des bouquets ou paniers de roses témoignent de sa patience d’alors. En meilleure santé, il a préféré pendant trente ans son jardin, ses légumes et ses fleurs à la colle jusqu’à ce qu’une amputation de la jambe gauche, en 87, le prive de ses plaisirs maraichers. Il a ressorti ses boite de timbres, ses pinces à épiler, ses allumettes qui lui permettent de placer, la où il faut, ces mini confettis colorés.
Dix mille bout de chapelle
Entamée en 1956, la réalisation du château des duc de La Trémoille était restés dans l’oubli. Au printemps dernier, Emmanuel l’a achevé. Superbe. Pour bien montrer l’originalité de ses œuvres, Emmanuel glisse de temps à autre, un coin de tampon, un « République Française » quand ce n’est pas la couronne du roi Edouard VII dans les feuillages ou bien encore un fragment du roi d’Autriche sur la porte de la chapelle.
La seule réalisation de l’édifice religieux a nécessité le collage de dix mille fragments différents. Aujourd’hui, s’inspirant d’une photo découpée dans un magazine, Emmanuel s’applique à confectionner un héron au milieu d’un paysage bucolique. Il a commencé cet été. Il finira peut-être au printemps prochain. L’animal est déjà conçu, fidèle à l’image. L’étang où il baigne exige du bleu. Rare sur les timbres. Il en faudra au moins deux cent cinquante pour recouvrir trois décimètres carrés.
Quand il est las de ce puzzle d’un genre particulier, Emmanuel fait de la vannerie. Il a même réalisé le « panier du bicentenaire » avec une cocarde d’osier de chaque côté de l’anse » « Je ne peux pas rester à ne rien faire. » On l’avait compris
Philippe Barbotte.
Article relevé dans la Nouvelle République du 7 Novembre 1989.
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